MJC Jacques Prévert
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En France, l’« éducation populaire » ne se réduit pas à l’animation socioculturelle : c’est une ambition d’émancipation et de citoyenneté active particulièrement réaffirmée à la Libération. Dans l’élan du programme du Conseil national de la Résistance — les « Jours heureux » — publié en mai 1944, l’État et les mouvements associatifs redéfinissent la place de la culture pour toutes et tous, y compris les jeunes, comme levier de ces ambitions : bibliothèques, spectacles, lieux de pratiques artistiques, d’engagements collectifs, mais aussi… de « salles et images en mouvement ».
Ainsi, les MJC…
Dans sa circulaire du 15 mai 1945, adressée aux préfets et aux responsables de la Jeunesse et des Mouvements de culture populaire, Jean Guéhenno (1890-1978), alors directeur de la culture populaire et des mouvements de jeunesse au ministère de l’Éducation nationale (au sein du gouvernement provisoire), écrit :
« Nous voudrions qu’après quelques années, une maison d’école au moins dans chaque ville ou village soit devenue une maison de la culture, une maison de la jeune France, un foyer de la nation, de quelques noms qu’on désire la nommer, où les hommes ne cesseraient plus d’aller, sûrs d’y trouver un cinéma, des spectacles, une bibliothèque, des journaux, des revues, des livres, de la joie et de la lumière. Cette maison serait en même temps une maison des jeunes. »
Quelques mois avant cette circulaire, le 27 septembre 1944, André Philip dépose les statuts de l’association fédérative des foyers, cercles et maisons de la jeunesse de France dite « République des Jeunes », dont il devient président. Cette structure regroupe alors une myriade de mouvements de jeunesse, des organisations syndicales et des mouvements de résistance, avec pour objectif de développer des maisons des jeunes sur l’ensemble du territoire.
Ce projet s’inscrit dans l’affirmation d’une démocratie républicaine retrouvée, après les années noires de la collaboration, en « offrant à la population, aux jeunes comme aux adultes, la possibilité de prendre conscience de leurs aptitudes, de développer leur personnalité et de se préparer à devenir les citoyens actifs et responsables d’une démocratie vivante ».
En 1948, la République des Jeunes devient la Fédération Française des Maisons des Jeunes et de la Culture (FFMJC). Le développement des MJC s’appuie sur un État planificateur : en une décennie (1955–1965), le nombre de MJC passe de 250 à plus de 1 200.
Les MJC s’imaginent localement, avec les acteurs des territoires, comme des lieux de savoirs partagés, d’expériences artistiques et culturelles, d’apprentissage du débat et de la délibération — socle du projet de pédagogie institutionnelle fondée sur une conception praxéologique de l’action collective et de la citoyenneté.
À l’instar de Christian Maurel, figure intellectuelle éminente des MJC et de l’éducation populaire, le projet des MJC affirme que « L’éducation populaire est une praxis qui transforme les individus et les rapports sociaux tout en produisant l’intelligence de ces transformations. »
Il la définit également, dans L’Éducation populaire et le travail de la culture, comme « L’ensemble des pratiques éducatives et culturelles qui œuvrent à la transformation sociale et politique, travaillent à l’émancipation des individus et du peuple, et augmentent leur puissance démocratique d’agir. »
Ces visées relient très tôt l’éducation populaire, les MJC et la pratique cinématographique.
L’émergence des ciné-clubs : apprendre à voir
L’histoire des ciné-clubs en France commence avant 1945 et s’institutionnalise véritablement à la Libération. La Fédération Française des Ciné-Clubs (FFCC) renaît en 1945 et contribue, en 1947, à la création de la Fédération Internationale des Ciné-Clubs (FICC). Le ciné-club devient alors une école du regard : projection, présentation, débat, apprentissage du langage cinématographique. Dans le même temps, la Ligue de l’Enseignement, autre mouvement d’éducation populaire, bâtit un vaste réseau d’éducation à l’image (UFOCEL, puis UFOLEIS : Union française des œuvres laïques pour l’éducation par l’image et le son) qui fédère une majorité des ciné-clubs du pays. La recherche récente rappelle combien ce mouvement a fait du cinéma un art à part entière et un enjeu pédagogique : reconnu comme art dès l’entre-deux-guerres, il entre progressivement dans l’École et, plus largement, dans des dispositifs d’éducation à l’image, portés par les associations et les collectivités — avec, au cœur, la pratique du ciné-club.
Kézako un « Ciné-Club » ?
Les Ciné-Clubs sont des lieux d’éducation à l’image et de partage culturel. Leur principe : voir, comprendre et débattre ensemble autour de films choisis, généralement par un groupe de passionnés bénévoles, pour leur intérêt artistique, historique ou social.Un Ciné-Club n’est pas une simple séance de projection : c’est un espace collectif d’échange et de formation du regard, où le spectateur devient acteur culturel. Les séances sont souvent accompagnées d’une présentation et d’un débat, animés par un intervenant, un enseignant, un réalisateur ou un bénévole passionné. Le mouvement des ciné-clubs a joué un rôle majeur dans la démocratisation du cinéma et dans l’essor de l’éducation populaire après 1945. Les MJC, universités populaires et associations ont accueilli ces initiatives, contribuant à former des générations de cinéphiles, d’artistes et de citoyens éclairés.
Les MJC, des maisons… avec un cinéma dedans
Dans les années 1960–1980, aux côtés de l’exploitation privée, se développe un réseau de salles créées ou soutenues par les collectivités et gérées par des structures culturelles (associations, MJC).
En 1978, la création de l’association Cinéma Public rassemble ces acteurs municipaux et associatifs pour promouvoir une diffusion exigeante, ancrée dans l’action culturelle et l’éducation à l’image.
Ce maillage va de pair avec la reconnaissance institutionnelle des salles Art & Essai (AFCAE/CNC) : des labels et aides encouragent la programmation d’œuvres de patrimoine et de répertoire, l’animation et la médiation — autant de terrains d’excellence pour les MJC, habituées des ateliers, débats et actions jeune public.
Au-delà des séances, les MJC continuent d’accueillir nombre de ciné-clubs, programmations associatives et résidences d’éducation à l’image. Plusieurs fédérations MJC animent encore des circuits itinérants et des projets Ciné MJC, prolongeant la tradition du débat et de la pratique amateur ou bénévole.
Le Mans : quand la MJC Prévert devient exploitante – du Ciné-Poche au cinéma les Cinéastes
Au Mans, cette histoire s’incarne de longue date. Inaugurée le 29 octobre 1978, la MJC Jacques Prévert ouvre dans ses murs deux salles de cinéma, Le Ciné-Poche : c’est l’un des jalons de l’implantation du cinéma associatif dans la ville, aux côtés d’autres lieux.
Depuis 2004, la Ville du Mans confie, par délégation de service public (DSP), à la MJC Prévert l’exploitation du cinéma Les Cinéastes. Cette DSP a consolidé un projet articulant exigence Art & Essai, actions d’éducation à l’image, cycles thématiques et patrimoine — dans la droite ligne de l’éducation populaire.
L’histoire “maison” témoigne de la vocation Art & Essai ancienne au sein de la MJC (Ciné-Poche, fin des années 1970), confirmant la continuité de cette ligne éditoriale locale : montrer, faire découvrir, expliquer, débattre. Les données récentes soulignent le rôle central des salles Art & Essai (part des séances, actions culturelles, médiation). Dans un contexte de mutation des usages, ces salles – et, parmi elles, celles portées par des associations – structurent un écosystème avec lequel l’expérience collective et la rencontre restent essentielles.
C’est précisément la grammaire des ciné-clubs d’hier, actualisée par l’éducation à l’image d’aujourd’hui.