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Entretien avec Lucas Thiebot, distributeur chez Malavida

Interview
Publié le 06 . 11 . 2025
Delphine Bruneau
Lucas Thiebot est distributeur dans la société de distribution Malavida, spécialisé dans la valorisation de cinéma de répertoire, depuis 2022. Découvrez son métier et la ligne éditoriale de Malavida.

Si je ne l’ai rejointe qu’en 2022, Malavida est née en 2005, à une époque où j’étais davantage occupé par les parties de billes et ignorais encore tout de la Nouvelle Vague tchécoslovaque. L’activité de la société se concentrait d’abord sur l’édition DVD, avant de renforcer l’activité de distribution salles en 2014, œuvrant principalement sur le cinéma de répertoire mais aussi à la découverte de jeunes cinéastes coups de cœur ayant explosé ensuite, comme Joachim Trier, Bertrand Mandico ou Philippe Katerine !

Selon la définition du CNC un film de patrimoine est un film produit il y a plus de 20 ans. Cela constitue forcément un corpus vertigineux ! On tend par ailleurs à remplacer de plus en plus le mot « patrimoine » par celui de « répertoire », plus inclusif.

Nous sommes quatre, Anne-Laure Brénéol et Lionel Ithurralde qui ont créé la société et la co-dirigent ​(distribution salles et édition DVD​) Marion Eschard qui s’occupe des relations presse depuis maintenant une dizaine d’années, et moi à la programmation. Nous sommes régulièrement épaulés par une personne en stage ou alternance​.

Avant tout la défense de film aimés ! La société est née du constat fait par Anne-Laure et Lionel de l’absence d’une part importante du cinéma d’Europe de l’Est et du Nord, de films fétiches impossibles à voir et à partager en France, en premier lieu Bo Widerberg, cinéaste essentiel et multiprimé à la fin des années 60 mais invisibilisé par l’ombre de Bergman et l’absence de matériel pour le public français, et bien sûr la fameuse Nouvelle Vague tchécoslovaque et des films extraordinaires, inventifs et souvent très drôles de Menzel, Passer, Chytilova et tant d’autres​, sans oublier le cinéma polonais avec Zulawski, Has, Wajda. Le désir de les revoir, et de les faire découvrir, est à l’origine de la création de Malavida.

Parmi tous les trésors que renferme le cinéma tchèque, il y a aussi de grands cinéastes d’animation comme Karel Zeman ou Hermína Týrlová​, accessibles au jeune public. C’est une mission qui nous tient aussi très à cœur d’œuvrer à l’éducation à l’image par des propositions de films de répertoire adaptées à toutes les tranches d’âge, tout en promouvant la diversité des formes cinématographiques. Notre travail récent sur l’extraordinaire cinéaste d’animation qu’est Youri Norstein, qui a produit avec sa compagne Francesca Iarboussova de vrais bijoux comme Le Petit Hérisson dans la brume ou Le Conte des contes, va justement dans ce sens, en s’attachant toujours à proposer des versions restaurées accompagnées de VF, de grande qualité.

  • Il y a une belle visibilité aujourd’hui des films ayant le label « Recherche et Patrimoine » et de de plus en plus d’appétence du public pour cette programmation. Comment expliquez-vous ce succès grandissant ?

J’imagine que tu voulais parler du label « Patrimoine et Répertoire » ?

C’est vrai que les chiffres des films de répertoire en salle sont particulièrement réjouissants ! Selon les données du CNC, on compte 3,9 millions d’entrées pour les films de répertoire en 2024, soit 2,2 % des entrées totales. 2023 et 2024 sont proportionnellement les plus belles années pour le répertoire depuis 1997 ! Cela se traduit surtout par une incroyable diversité des films, avec un beau record de 2900 films de répertoire différents montrés dans les salles en 2024.

Quand on voit les chiffres que des films de répertoire peuvent réaliser à la télévision, il est évident qu’il existe une curiosité et une demande, qu’il s’agit d’aiguiser et d’orienter vers la salle, où l’expérience cinématographique est la plus accomplie.

Avec Palombella Rossa nous sommes par exemple parvenus à dépasser les 11 000 entrées en un mois, mais d’autres films comme Yi Yi ou Chronique des années de braise ont cet été réalisés de très beaux scores. Il est certain que le travail des sociétés de distribution indépendantes n’est pas étranger à ce succès, et nous pouvons compter pour porter le répertoire sur un soutien institutionnel sans faille, du CNC, de l’AFCAE qui soutient le répertoire depuis une trentaine d’années, et de l’ADRC qui aide à la promotion des films en région. Et bien sûr ce succès serait impossible sans le soutien indéfectible des salles de cinéma – le rendez-vous du lundi désormais institué au cinéma Les Cinéastes et particulièrement suivi est révélateur d’une attention particulière au cinéma de répertoire et d’un travail sans relâche pour que les films les plus fragiles trouvent leur public !

Je ne suis donc pas sûr qu’il y ait actuellement un facteur exogène qui permette d’expliquer les beaux chiffres du cinéma de répertoire en salle. Cette réussite marque plutôt la vitalité d’un secteur, bien que les signaux envoyés par le gouvernement et collectivités territoriales ne laissent pas toujours optimiste, encore moins la menace de l’arrivée de l’extrême-droite au pouvoir.

Les étapes ne sont finalement pas si distinctes de la sortie d’un film actuel. La grande différence se situe peut-être surtout au niveau de l’acquisition du film, puisque contrairement à d’autres distributeurs nous n’achetons bien évidemment jamais de films sur scénario, ce qui peut constituer une prise de risque importante dans la mesure où il est difficile d’être certain que le film terminé sera réussi ou non. Le risque reste toutefois inhérent à l’activité de distribution, et sur le répertoire on peut aussi parfois engager des sommes conséquentes en ayant conscience qu’il faudra faire un nombre d’entrées important pour ne pas être déficitaire.

Pour le répertoire l’acquisition se réalise auprès de l’ayant-droit, qui souvent est un partenaire privilégié. Cela peut être un cataloguiste comme Gaumont, le producteur du film, un vendeur international, ou l’héritièr.e du/de la cinéaste. Nous prêtons bien évidemment une attention particulière au matériel disponible et achetons donc la plupart du temps les films lorsqu’ils viennent d’être restaurés, de plus en plus souvent à notre demande.

Une fois le film acquis il faut lui trouver une date puis annoncer sa sortie. Le travail peut ensuite se diviser entre trois étapes réalisées simultanément : la production de matériel promotionnel, le travail sur la presse et la programmation en salles et son accompagnement essentiel aujourd’hui. Sans oublier le gros travail indispensable réalisé bien en amont auprès des festivals, véritables partenaires et rampes de lancement pour les films, comme cela vient d’être le cas avec Anja Breien avec le Festival Lumière.

 

​Depuis le début des années 2000 et le mouvement initié par Carlotta​, les films de répertoire sont traités comme les autres sorties. Il s’agit donc d’assurer un travail promotionnel sur un film comparable aux sorties de films actuels, en travaillant​ sur une proposition différente de l’affiche d’époque, mais en en reprenant parfois des éléments, et ​e​n produisant une nouvelle bande-annonce. Nous pouvons ensuite parfois réaliser des achats d’espace dans des revues partenaires​.

Bien sûr le travail promotionnel passe aussi par une présence sur les réseaux sociaux et l’accompagnement des séances par des talents, des critiques ou des spécialistes. Le relais de communication via la presse et la critique reste très important. Le travail de fond réalisé par ma collègue Marion pour obtenir des papiers dans Le MondeTéléramaLibération et les autres médias généralistes ou spécialisés constitue une part importante du travail promotionnel.

  • Quels sont vos liens avec les exploitants ? Vous accompagnez souvent les films en salles et êtes venu récemment aux Cinéastes pour échanger avec le public autour de la ressortie de Palombella Rossa de Nanni Moretti.

​Le lien avec les exploitant.e.s est une forme de compagnonnage qui met forcément un certain temps à se développer. Entre le début de l’activité de distribution salle de Malavida et aujourd’hui les liens se sont tissés depuis longtemps, pour atteindre un degré d’entente et de confiance solide et durable, qui se concrétise bien sûr en de belles amitiés dans certains cas !

Au quotidien mon rôle de programmateur est de maintenir un échange constant avec les exploitants par mail ou téléphone, mais ce qui permet réellement de renforcer les liens, ce sont les différentes rencontres professionnelles qui jalonnent notre année. Il y a d’abord Cannes bien sûr, mais aussi le FEMA à La Rochelle en juillet, et le Festival Lumière à Lyon en octobre. Sans oublier Viva Cinéma à Valence en janvier, Le festival d’Arras en novembre… Les autres rencontres professionnelles importantes pour nous sont organisées par L’ADRC ou/et l’AFCAE en mars sur le répertoire et en septembre sur le jeune public, et nous permettent d’échanger plus en profondeur entre exploitants et distributeurs sur notre activité et nos belles sorties à venir !

Après Palombella Rossa nous avons ressorti le 1er octobre La Reine Margot de Patrice Chéreau, évidemment diffusé aux Cinéastes, de même que le seront les 5 autres films de Chéreau à partir du 5 novembre :

–          Judith Therpauve, très beau film avec Simone Signoret, qui résonne aujourd’hui sur la question de la mainmise des puissances financières sur la presse.
–          L’Homme blessé avec Jean-Hugues Anglade, dont Almodovar louait la clairvoyance, d’un magnifique film tristement annonciateur des années sida.
–          Hôtel de France qui révèle la troupe des Amandiers au cinéma et tant de comédien.ne.s qui exploseront ensuite.
–          Ceux qui m’aiment prendront le train, l’apogée stylistique de Chéreau, avec Vincent Pérez dans son plus beau rôle et une BO d’enfer.
–          Gabrielle, adapté de Conrad, avec un couple incarné par Isabelle Huppert et Pascal Greggory au sommet de leur art.

Nous reviendrons ensuite au 10 décembre sur une cinéaste bulgare, Binka Jeliazkova, dont les films étaient encore inconnus en France avant leur programmation au festival de La Rochelle en 2022. Voir aujourd’hui La Vie s’écoule silencieusement (1957) et Nous étions jeunes (1961) confirme encore que les nouvelles vagues cinématographiques ont déferlé dans tant d’autres pays, surtout en Europe de l’Est, et que la française est définitivement l’arbre qui cache la forêt. Les non moins superbes Le Ballon attaché (1967) et La Piscine (1977), actent la longévité de la cinéaste, mais surtout rendent compte de l’extraordinaire variété de son cinéma.

Et en 2026 nous retournons sur les terres tchèques avec La Famille Homolka (1968), comédie hilarante extrêmement populaire en son pays, avant de nous rendre en Norvège, avec une rétrospective consacrée à Anja Breien, dont les films ont comme je disais été montrés la semaine dernière au festival Lumière et superbement reçus – en particulier Wives (1975), pensé comme une réponse au Husbands de Cassavetes, dont la charge politique et esthétique détonne !

  • Le film coup de cœur de votre line-up ?

Difficile de choisir ! Je pourrais citer Palombella Rossa que je suis venu présenter aux Cinéastes début septembre. C’était déjà un film que j’aimais beaucoup, Moretti étant un de mes cinéastes de chevet. Mais le fait de me replonger (c’est le cas de le dire) m’a fait l’aimer encore davantage : plus on dissèque le film plus on est saisi par sa richesse – comme quoi pas besoin d’explorer les fonds marins pour faire un film profond, une piscine peut suffire !

Je pourrais aussi parler de Bushman de David Schickele, film auquel nous tenons toutes et tous énormément chez Malavida, d’autant plus que le film comme son réalisateur étaient avant que nous le sortions totalement inconnus en France. Il y a forcément une fierté supplémentaire à contribuer à faire réémerger un film qui n’était jamais sorti en salles avant, y compris aux Etats-Unis où il a été tourné ! Le film évoque les pérégrinations d’un jeune Nigérian à San Francisco, et en jouant de la frontière entre fiction et documentaire, trouve une forme politiquement saisissante.

Enfin je dois parler de notre travail sur Youri Norstein, peut-être un des plus grands cinéastes encore en vie, dont Le Petit Hérisson dans la brume a été élu meilleur film d’animation au festival de Laputa au Japon en 2001 – en sachant que le second du classement était Le Conte des contes, de Norstein aussi. Ces deux films sont des trésors absolus. Les dessins de Francesca Iarboussova, la profondeur de champ que permet l’animation en papier découpé, la musique… Tout est sublime. Je ne suis pas certain de croire au concept malrucien de choc esthétique, mais s’il y a un cinéma qui peut représenter un choc pour tout.e spectateur.rice, quel que soit son âge et ses habitudes de cinéma, c’est bien celui de Youri Norstein.

Merci Lucas pour ce témoignage. Pour retrouvez l’actualité de Malavida, rendez-vous sur leur site internet ou sur leurs réseaux sociaux @malavida_films

Et retrouvez en salle du 6 novembre au 9 décembre, la rétrospective autour de Patrice Chéreau, proposée par le distributeur Malavida.

Rétrospective Patrice Chéreau

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